Région du Kasaï en RDC, après la guerre, les enfants meurent de malnutrition  

Article : Région du Kasaï en RDC, après la guerre, les enfants meurent de malnutrition  
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23 mai 2018

Région du Kasaï en RDC, après la guerre, les enfants meurent de malnutrition  

Dans la région du Kasaï, la guerre entre l’armée et la milice Kamwina Nsapu a créé une véritable tragédie humanitaire. Mais une tragédie oubliée par la communauté internationale. Outre de nombreuses fosses communes et des dizaines de milliers de déplacés, beaucoup sont sans abris et gravement malnutris. L’Unicef estime à plus de 400 000 enfants touchés par une malnutrition sévère.  Au Kasaï-Oriental, la paix est revenue, mais les effets de la guerre sont toujours visibles. C’est le cas, dans le village de Miketa en territoire de Miabi au sud-ouest de Mbujimayi.

Samedi 28 avril 2018. Accompagné de trois journalistes de la télévision britannique Channel 4 News, nous partons de Mbujimayi à la découverte des zones autrefois sous contrôle de la terrible milice Kamwina Nsapu. Dans cette région, beaucoup de localités ont été frappées par les violences de l’armée et des miliciens. C’est le cas des territoires de Tshilenge, Kabeya Kamwanga et Miabi au Kasaï-Oriental. Nous avons choisi de nous rendre à Miabi, territoire où des villages comme Tshijiba, Tshilunde, Mwanza Lomba, Miketa… ont connu les affres de la guerre.

Sur notre route, à chaque fois le spectacle est désolant. Sorren le caméraman demande au chauffeur de ralentir notre jeep ou de s’arrêter pour prendre des images : devant nous, des gens extrêmement pauvres et qui manquent cruellement de nourriture. Pourtant, nous pouvons voir de larges espaces de terres arables non cultivées. Mais comment cultiver alors que les brousses étaient investies par les miliciens et les soldats ? Un commerçant explique : « Dans tous ces villages, des personnes ont été tuées par balles ou égorgées, et d’autres blessées à la machette ou au couteau. Et tout le monde avait peur de se rendre aux champs. Aucun commerçant ne s’est hasardé à exposer sa vie au danger pour aller chercher les denrées alimentaires dans les lieux de production. »

La journaliste Jackie est très surprise de voir des hommes et des femmes pousser péniblement des tonnes de charges à vélo le long de cette route en terre battue, sous un soleil de plomb et en franchissant des collines. Ici le vélo est le moyen de transport des pauvres. D’autres, les femmes surtout, portent carrément leurs fardeaux sur la tête.

Il nous a fallu parcourir environ 70 km depuis Mbujimayi pour atteindre le village de Miketa par une piste littéralement couverte de brousse et de hautes herbes. A notre arrivée dans ce village, nous avons été accueillis par des chants et des danses de la petite population locale. Les youyous des femmes perçaient l’air jusqu’au ciel. D’autres femmes jetaient leurs pagnes par terre pour que nous marchions dessus. Je ne sais pas si ce chaleureux accueil était spontané ou préparé, car avant de venir, nous avions prévenu les autorités, notamment le gouverneur de la province du Kasaï-Oriental, Alphonse Ngoyi Kasanji, pour des questions sécuritaires. Nous avions peur de tomber dans des embuscades, notamment parce que deux experts de l’ONU, l’Américain Michael Sharp et la Suédoise Zaida Catalan, et leurs accompagnateurs congolais, ont été sauvagement tués non loin de cette zone et que l’enquête n’avance pas.

Les journalistes de Channel 4 News ont été très émus de voir le niveau de misère des populations locales. Ils ont pris beaucoup d’images. Mais la population avait un autre entendement des choses : elle a pensé que ces Blancs étaient des humanitaires venus leur apporter de l’aide, de la nourriture surtout. J’ai dû leur dire en tshiluba la langue locale : « Ces Blancs ne sont pas des humanitaires. Ils n’ont pas de nourriture à vous donner. Ce sont des journalistes venus compatir à vos malheurs afin d’aller en parler au monde entier. » Apparemment, mon message ne passait pas. Les femmes et les enfants me regardaient bizarrement, parce qu’ils espéraient quelque chose.

Selon l’ONU, cette guerre de la région du Kasaï est l’une des pires crises humanitaires du monde actuellement. Plus d’un million de personnes sont déplacées, et une partie d’entre elles s’est réfugiée en Angola. Au moins 80 fosses communes ont été creusées, des écoles et des hôpitaux détruits, la précarité, la sous-alimentation et la malnutrition se sont aggravées…

Ici à Miketa, beaucoup de villageois qui s’étaient réfugiés en forêt sont rentrés, mais la vie est très dure à reprendre car tous leurs biens ont été détruits pendant la guerre. Ils tentent de reconstruire leurs cases incendiées ou détruites. Certains ont recommencé les travaux de champs. D’autres vivent encore dans des familles d’accueil.

Pas facile de tourner la page Kamwina Nsapu

Il y a quelques mois, la route Mbujimayi – Miabi jusqu’au village de Miketa était infréquentable en raison de la présence des miliciens qui semaient la terreur et la désolation. Aujourd’hui on peut parcourir le trajet en toute sécurité. La paix ainsi retrouvée, les déplacés reviennent et tentent de réorganiser leur vie dans les villages. Un pari difficile en raison de leur extrême pauvreté. « Ce village de Miketa était l’une des zones rouges de la rébellion Kamwina Nsapu. Il y avait ici jusqu’à 700 miliciens qui terrorisaient la population. Parmi eux beaucoup d’enfants… », explique un chef local.

La guerre n’a pas fait que des déplacés. Elle a changé le cours normal de la vie des villageois. Tout est à refaire. Les enfants souffrent de malnutrition aiguë. Ils ne vont pas à l’école. Plusieurs d’entre eux sont sans habits, ils n’ont que culottes rapiécées, torses nus et ventres bedonnants. Pas de couverture pour se protéger du froid. Les villageois manquent de tout et ont besoin d’aide humanitaire d’urgence. Les terres arables ne sont plus assez fertiles dans cette zone. Le maïs, aliment de base dans la région, ne pousse plus comme avant. « Nous cultivons le maïs ici mais le rendement est très faible. Parfois nous sommes obligés d’aller acheter le maïs à Mbujimayi. Ça coûte très cher là bas : 3000 à 4000 francs congolais  (environ 2.5$) par mesure. On souffre pour manger ici », explique un ancien déplacé, père de neuf enfants.

Les retournés espèrent l’aide du gouvernement et des ONG  

Mulumba est l’un des déplacés qui sont rentrés au village de Miketa. Il raconte ce qu’il a vécu pendant la guerre. « Des miliciens Kamwina Nsapu venaient en nombre et sont entrés dans le village après avoir traversé la rivière Lubi de l’autre côté. Ils venaient de la province du Kasaï-Central. Nous avons fui et avons trouvé refuge en brousse. Derrière nous, ces miliciens ont incendié nos habitations et pillé nos plantations et nos récoltes. Que le gouvernement et les personnes de bonne volonté nous viennent en aide au plus vite, sinon on ne comptera que des morts ici ! »

Parmi les déplacés, également de retour dans le village de Miketa, il y a cette femme de 39 ans, Madeleine Mujinga. Elle aussi se souvient de l’attaque du village par les Kamwina Nsapu : « C’était ma première fois de vivre une guerre. Je courais avec mon mari et mes trois enfants. Nous sommes restés près de six mois en forêt. De décembre 2016 à mai 2017. Nous dormions en dessous des arbres et mangions les herbes de champs. Aujourd’hui nous sommes revenus au village, mais nous n’avons pas de moyens. Pas de nourriture. Nous essayons de reconstruire nos habitations, mais c’est difficile car nous sommes affamés. »

Je n’oublierai jamais cette scène pitoyable d’une petite fille d’environ 12 ans qui suivait derrière notre véhicule en courant, la main tendue et demandant de la nourriture. Je ne savais pas que le monde est aussi injuste : un monde où les uns mangent à leur faim et jettent le reste à la poubelle ; et un monde où de pauvres enfants innocents ne peuvent même pas se permettre un seul repas tous les trois jours !

La crise humanitaire dans la région du Kasaï est plus grave qu’on ne la présente. Hélas, le gouvernement congolais estime que la communauté internationale caricature cette crise en la grossissant pour salir l’image du pays. Beaucoup parmi les déplacés ont été choqués d’apprendre que le gouvernement à même refusé de participer à la conférence de l’ONU du 13 avril à Genève qui visait à lever des fonds pour venir en aide à 13 millions de personnes durement frappées par la crise humanitaire en RDC. Une déplacée explose de colère : « Depuis le début  de cette guerre, le  gouvernement ne nous a rien apporté comme assistance. C’est la malnutrition qui nous extermine ici. Pourquoi empêcher la communauté internationale de nous aider ? C’est quel gouvernement ça ? »

Lors de l’attaque du territoire de Miabi, l’administrateur du territoire avait dû, lui aussi, chercher refuge loin de son entité. Il témoigne : « La situation était grave dans cette partie de la province. Il nous a fallu momentanément battre en retraite face à l’avancée des miliciens, le temps de nous organiser pour contrattaquer et restaurer la paix. Et grâce à la détermination du gouverneur Ngoyi Kasanji, nous avons rétabli la paix et l’ordre public. »

Bref, après leur retour dans leur milieu de vie, les déplacés font face aux intempéries et au manque de nourriture. Les enfants sont les plus affectés en raison de la malnutrition. Tout le monde espère que l’aide humanitaire, issue des fonds récoltés lors de la dernière conférence de Genève sur la crise humanitaire en RDC, parviendra aussi à ces enfants malnutris du village de Miketa au Kasaï-Oriental.

Jean-Hubert Bondo

 

 

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